supernatural woman ft. yuri

Adossé contre une rambarde de la terrasse du restaurant extérieur, la clope au bec et les doigts rougis s’acharnant sur son zippo, la flamme venant lécher le goudron a quelque chose d’encore plus envoûtant que de coutume, rendue instable par le froid. Un nuage vaporeux s’extirpe d’entre ses lippes tandis qu’il exhale, son briquet se refermant en un cliquetis caractéristique, habitué à jouer avec sans même s’en rendre compte. La simplicité du moment comme la beauté du paysage a le don de l’apaiser, l’épaisse couche du manteau neigeux brillant exagérément à la lueur du soleil de début d’après-midi, l’aveuglant presque. Une image idyllique. Pure et immaculée. Son regard se perd vers l’horizon en un point flou, laissant sa cigarette se consumer entre deux bouffées, n’y prêtant pas vraiment garde. Il profite simplement de cet instant en solitaire, devenu rare depuis qu’il partage ce minuscule dortoir avec quatre autres idiots. Depuis qu’il a abandonné l’idée de tracer sa route seul. Imperceptiblement, un sourire vient se ficher au coin de ses lèvres à ce constat si simple, réchauffant son être de sa propre flamme. Il n’avait jusqu’alors jamais pensé qu’une route empruntée à plusieurs serait si exaltante, quand bien même ils avaient le don et la volonté inébranlable de le rendre fou. Cela ne l’empêchait pas d’apprécier parfois un peu de calme, histoire de se recentrer sur lui. De profiter du silence aussi, le bruissement de la nature le relaxant. Un moment trop court selon lui, mais obligé d’être abrégé puisqu’ayant rendez-vous, le filtre s’éteignant dans la neige avant de rejoindre la boîte métallique prévue à cet effet. Il range cette dernière pour en sortir une seconde, contenant son autre drogue, la faisant rouler sur sa langue, la saveur du menthol imprégnant tous ses sens. Elle a le goût du bonheur, répandant en lui cette sensation irrésistible de fraicheur, satisfait d’un rien et content de cette rapide bouffée d’oxygène, se dirigeant alors vers le petit chalet où il devait récupérer sa paire de raquettes. Il avait promis à ses amis de ne pas rester toute la journée dans la chambrée, étouffant de toute façon à l’intérieur et n’en voyant nullement l’intérêt, quand bien même l'hôtel était plus luxueux que ce à quoi il était habitué. S’il n’était pas comme Eunwoo à apprécier courir dans la neige, s’extasiant d’un rien, les températures polaires ne le dérangeaient nullement, amoureux de la nature et sportif dans l’âme. Il espérait que cette petite virée dans la poudreuse, là où il pourrait faire ses traces dans la couverture encore vierge, serait à la hauteur de ses attentes. Il ne se faisait toutefois pas trop de souci, incapable de s’imaginer le moindre incident, son esprit voguant plutôt vers les possibles chevreuils qu’il pourrait croiser… Ne se doutant guère que c’était une biche qui le détaillait de ses grands yeux tandis qu’il entamait le début de cette randonnée.

(( outfit ))

Ces journées devraient être plus heureuses. Malgré le sourire qui ne cesse de percer au coin de ses lèvres et la joie sincère qui habite son cœur, Yuri ne peut s’empêcher d’avoir l’impression qu’il manque encore quelque chose. Et c’est toujours pareil : cette impression que quoi qu’elle puisse acheter, quels que soient les comebacks qu’elle prépare, les nouvelles opportunités qu’elle attrape entre ses mains ou les personnes qui entrent dans sa vie, tout reste affreusement plat. Elle sait de quoi elle a l’air. Une personne qui n’a jamais un coup de barre, et sur les joues de lesquelles jamais une larme ne doit percer. Et c’est vrai. Sûrement est-ce le rôle dans lequel elle s’est confiné il y a tant d’années, persuadée que pour se faire une place dans ce monde, il lui fallait être ça. Un soleil, rayonnant de positivité, là pour tirer les gens vers le haut. Avec seulement l’impression de voir tout le monde la dépasser sans même arriver à monter d’une marche. Espérant que tout cela change à chaque nouvelle personne arrivée dans sa vie, ayant mis cet espoir là dans l’arrivée d’Ole qui lui avait montré tout cet amour. C’était ça qui lui manquait, non ? Que quelqu’un se batte pour elle, au lieu de chasser ce qui lui manquait. Mais non. Aussi perpétuellement heureuse semble-t-elle, son cœur reste aussi morne. Avec l’impression que tout se vaut, qu’elle devrait se sentir aussi joyeuse qu’elle le montre, sans que ce ne soit pourtant le cas. La culpabilité pesant son cœur de devoir éternellement jouer un rôle pour ne pas décevoir les gens autour d’elle.

Son temps elle le remplit pour se distraire. Sûrement est-ce pour cela qu’elle s’est inscrit à toutes les activités possibles lors de ce cours séjour à la neige, s’étant même plainte que c’était vraiment léger par rapport aux temps où ils courraient entre deux comebacks. Craignant plus que tout le vide né du temps perdu à rien, du temps perdu à être mise face à face avec le trou grandissant dans sa poitrine. Il n’y a rien qui paraît. Les pas qui la mènent jusqu’à la cabine d’où la randonnée part sont joyeux et sautillants. Le sourire qui ne quitte son visage, comme pour prouver au monde que ça va bien, que ça va toujours bien. Poussant la porte avec énergie pour qu’elle claque contre le mur en bois, faisant sentir sa présence à tous, posant le regard sur les personnes qui partageront avec elle ce moment aujourd’hui et leur adressant de petits signes de la main.

Yuri touche à tout et se plante devant toutes les affiches. Remplit le temps d’attente avant que son regard ne s’accroche à une personne particulière, attendant là aussi son matériel en main. Alors que l’instructeur l’aide à choisir des raquettes à sa taille, que son rire résonne et tape contre les quatres murs du petit chalet, son regard ne cesse de s’accrocher à sa silhouette. Elle le connaît, non ? C’est cette interrogation qui continue à résonner dans son cœur, ses sourcils se fronçant légèrement d’agacement de ne pas pouvoir mettre le doigt dessus. Mais après tout puisqu’il est là il est sûrement idole : alors elle doit l’avoir vu à la télé, d’où cette impression de familiarité. N’osant se planter devant lui tout de suite, elle laisse le petit groupe se réunir et l’instructeur prendre la tête. Tout le monde se serre dans le petit van qui les amène au début de la randonnée et Yuri ne peut s’empêcher de le fixer durant tout le voyage, s’arrêtant parfois pour reprendre ses esprits. La frustration grandissant dans son ventre de ne pas avoir une réponse à ce simple qui, et l’apparence distante du jeune homme l’empêchant d’avoir des indices. Lorsque le groupe sort du van et que la marche commence, elle attend dix minutes, se torturant l’intérieur de la joue, avant de se rapprocher l’air de rien de lui. Marchant à ses côtés silencieusement quelques minutes de plus avant de se lancer. « On se connaît ? » demande-t-elle en accrochant un regard curieux en sa direction. L’impression d’avoir vu ces traits particuliers autre part que devant son écran de télévision. Il n’est pas à la Yuseong ou à la KG, ça elle en est sûre. Peut-être l’a-t-elle croisé lors d’un special stage, un music show ou encore des awards. « Je suis Yuri. De Divine. Je ne dis pas ça pour… enfin. C’est étrange quand même. D’avoir l’impression que je dois dire mon groupe parce qu’on est tous là parce que... » Elle se perd dans ses mots et vient se mordre la lèvre inférieure. « Tu sais que ça devrait être illégal d’être aussi grand. Je dois avoir l’air d’avoir 8 ans à côté de toi. » lance-t-elle avant une légère moue, accrochant ses doigts aux bretelles de son sac pour s’aider à marcher un peu plus vite. À côté de ses grandes jambes, elle doit forcément accélérer le pas.

(( outfit ))

Complètement coupé du monde lorsqu’il était dans ses pensées, il n’avait rien remarqué. Ni sa présence, ni son insistance… Encore moins sa ressemblance avec un fantôme du passé. Elle avait beau sautiller, ne pas tenir en place et rire fort, aucun de ces signaux n’arrivaient jusqu’à lui, cloisonné dans sa bulle. On le disait froid. On le caractérisait parfois de distant ou antipathique, ce qui pouvait sembler vrai de l’extérieur mais… Au fond ne le faisait-il pas exprès, s’imaginant que personne ne lui donnait de l’importance et qu’il pouvait donc bien rester dans son coin. Avec sa solitude. Comme toujours. Il n’avait de toute façon pas vraiment de raison de regarder quelconque femme, n’en ayant pas éprouvé la nécessité depuis bien trois ans. Ou du moins, s’y étant refusé, ne voulant plus souffrir. S’étant focalisé sur sa survie et pouvoir prendre soin de lui. Il n’avait pas de temps à leur accorder de toute façon, alors à quoi bon ? Il n’avait jamais vraiment cherché à regarder les groupes féminins non plus, n’y trouvant aucun attrait. Aucun intérêt. Et là encore, on le qualifierait d’ours. Peut-être bien. Etait-ce donc si mal de se plaire dans sa tanière ? Au moins ne les faisait-il pas pleurer, incapable de s’imaginer en rendre une heureuse. Il avait abandonné cette idée. On la lui avait arraché.

Aussi, s’il sent quelconque sensation désagréable ou picotement n’y prend-il pas garde, loin de se douter qu’il était épié depuis tout ce temps et plus encore de la raison, trop occupé à regarder ses raquettes pour savoir comment les enfiler. A admirer le paysage au dehors empli de beauté. A s’imaginer déjà le givre se déposer en une couche rosée sur ses joues pâles tandis qu’il serait paumé au milieu d’une immensité d’un blanc immaculé. Ça le faisait rêver. Et la hâte qui l’étreignait effaçait tout le reste, sautant presque du bus pour enfiler ses secondes pantoufles et se mettre à marcher à bonne allure. Pas trop vite, histoire de rester avec le groupe, mais bien en tête, les raquettes étant après tout un sport. De toute façon, il fallait éliminer tout ce qu’ils avaient mangé au déjeuner, le fromage encore coincé quelque part, sentant son poids peser. Non, décidément, il n’aurait pu rêver mieux.

Ce n’est que lorsqu’une voix l’interpella qu’il se reconnecta avec la réalité, tournant son visage vers l’inconnue qui lui faisait face, petit bonbon rose duveteux. Un moment coit devant sa réplique, se demandant réellement si une jeune femme à l’allure si innocente pouvait sortir pareille phrase de drague, il finit par hausser un sourcil dubitatif, retenant le “non” catégorique qui menaçait de sortir. « Je ne crois pas… » Elle ne lui disait après tout absolument rien, et il n’avait pas plus envie de voir cette activité comme un site pour rencontre entre trainee et idole. Alors lorsqu’elle continue avec naturel, pas vraiment découragée par sa réponse sans doute trop gentille, il ne peut que soupirer brièvement, fermant ses paupières un traître instant. Il n’était pas du tout enclin à avoir ce genre de discussion, justement venu ici pour se vider la tête. Lorsqu’elle commence à s’emmêler les pinceaux cependant, parlant certes trop mais avec tant d’insouciance, il commence à avoir un doute. Lui disait-il vraiment quelque chose ? Ses obsidiennes dérivent vers sa lèvre qu’elle mord comme s’intimant de se taire, se rendant elle-même compte de ce qu’elle déblatérait et il ne peut s’empêcher d’être légèrement attendri. Elle avait des airs d’Eunwoo par moment. De sa sœur aussi. Alors quand elle le prend encore plus au dépourvu avec sa remarque suivante, la surprise se peignant sur ses traits, la courbe de ses lippes s’étire irrémédiablement d’un côté, laissant passer un maigre soupir semblable à un début de rire. « T’en as d’autres des comme ça ? » Il demandait à voir, vraiment décontenancé par ce petit bout de femme qui sortait de tous les standards. Son sourcil s’hausse alors qu’il pose de nouveau le regard sur elle, la détaillant sans détour, une ombre légèrement moqueuse venant danser dans ses iris. « Je dois me couper les jambes à partir du genoux pour que tu te sentes plus mature ? Ou tu as prévu de me faire arrêter par les flics avant pour détenir une taille illégalement grande ? » Dans les deux cas, il était mal barré, se rendant d’ailleurs compte qu’elle ressemblait à une écolière tentant de courir après un sunbae avec son sac trop gros sur le dos, ralentissant progressivement le pas jusqu’à ce qu’il puisse constater qu’elle ne s'essoufflait guère. Pourquoi fallait-il toujours qu’il s’acclimate aux autres au lieu de penser à lui… Fourrant ses mains dans les poches de son manteau nonchalamment, son visage se lève vers le ciel, venant capter sa lumière solaire dans un sourire grimacé, quelque peu aveuglé. « Pourquoi marcher à côté de moi si tu dois courir pour ? » Il ne comprenait pas. Quel intérêt pour elle ?

(( outfit ))

Concentrée sur le fait de mettre un pied devant l’autre sans chuter en avant, Yuri ne remarque pas son expression. Ah ? Il ne croit pas ? Ses lèvres se pincent dans une moue songeuse mais après tout, si elle même ne se souvient pas, et si lui non plus… « Ah. J’ai dû te voir à la télé, alors. » finit-elle par lancer, ne voyant que ça comme explication logique. Sa respiration s’accélérant avec les grands pas qu’elle se doit de faire pour garder le rythme avec lui, créant des nuages de condensation dans l’air. Même si quelque chose en elle est toujours piqué par la curiosité, elle fait de son mieux pour l’ignorer et se contenter juste de cette explication. Après tout,  ne dit-on pas qu’on trouve exactement ce qu’on cherche lorsqu’on arrête de chercher ? Elle espère avoir l’illumination divine au cours de leur randonnée.

Le bruit qui s’échappe bientôt des lèvres de l’inconnu la pousse, malgré sa concentration, à tourner le visage en sa direction. Détaillant ses traits un instant et tentant de faire du sens de son expression. Elle peine à savoir s’il est agacé ou amusé. Et ce fait simple ne fait qu’attiser sa curiosité : est-il embêté qu’elle ait commencé à lui parler ? Ou veut-il de la compagnie ? Elle ne peut trouver une réponse à ces questions dans ce qu’il lui offre comme matériel. Yuri ne trouve pas que ce qu’elle a dit est particulièrement étrange, mais cela semble être son interprétation, craignant un instant qu’il ne lui dise aussi directement. C’est donc avec surprise qu’elle accueille sa réponse, laissant un petit rire s’échapper de ses lèvres. « Donc j’ai deux options ? Soit tu es galant, soit je te veux du mal ? » lance-t-elle en plissant les yeux, se retenant de venir lui mettre une pichenette sur le nez. Elle ne peut s’empêcher d’être décontenancée par ce qu’elle peut percevoir de lui. Il lui semble tout d’un coup extrêmement mystérieux, encore plus qu’avant. Mais peut-être est-ce parce qu’elle ne sait pas qui elle est, que son cœur s’emballe.

Au fil de la marche, Yuri se rend compte qu’avancer à ce rythme est beaucoup plus aisé. Si d’abord, elle est persuadée qu’une force athlétique lui est venu des dieux pour lui permettre de ne pas étouffer à essayer d’avancer aussi vite, elle ne peut que conclure en y réfléchissant que probablement, il doit marcher un peu plus lentement. Pourquoi ? Il ne semble pas avoir particulièrement envie de lui parler. Mais peut-être est-il gentil comme ça. Elle en a connu des gars à la tendresse cachée sous des expressions de glace. Il ne serait pas prudent tout de même d’en déduire autant d’un inconnu. « Pourquoi est-ce que tu as ralenti pour moi ? » ne fait-elle que lui poser à son tour comme question, refusant de répondre aux siennes immédiatement. « Je ne sais pas. J’avais envie de marcher avec quelqu’un et je t’ai trouvé trop mignon, quand tu as sauté du van. Aussi j’avais l’impression de t’avoir vu quelque part alors c’est sûrement… pour ça... » explique-t-elle en continuant à le fixer, si fort qu’elle en trébuche et faillit se rétamer par terre. Heureusement, son équilibre de déesse lui permet de sortir son pied coincé dans la neige et de se remettre en route aussi vite. « Je peux partir si tu ne veux pas que je reste. Mais maintenant que tu m’as parlé j’ai encore plus envie de rester avec toi. Désolée. » lance-t-elle en levant ses doigts en un V sign près de ses yeux, se préparant psychologiquement à se faire jarter. L’idée de marcher toute seule ne lui est pas très attrayante… Yuri suppose qu’elle pourrait s’accrocher à un autre du groupe mais maintenant, elle ne veut pas rester avec un autre que lui. « Tu m’as toujours pas donné ton prénom. En fait. Tu sais que c’est malpoli quand quelqu’un te donne le sien de pas donner le tien en retour... » souffle-t-elle finalement, attendant au moins ça avant de le laisser tranquille.

(( outfit ))

Pouvait-on partir aussi loin en mentant ? Jaewon n’y croyait guère ou du moins, prenait le parti de ne pas y croire, statuant qu’il avait juste mal interprété les signes et que la demoiselle à ses côtés ne le draguait pas. Qu’elle avait juste un choix de mots étrange ou une approche assez directe, que le flot de paroles qu’elle débitait par la suite rendait sans voix. Et intérieurement, il ne pouvait que se demander à quoi ressemblait son esprit, s’imaginant un joyeux bordel où les paroles s’entrelaçaient et les idées poppaient de toutes parts. Avait-elle tant à dire ? Si peur qu’on la coupe qu’elle devait parler si vite ? Ou était-ce au contraire parce qu’on ne l’écoutait pas assez qu’elle avait ce besoin de tout donner d’une traite sans réfléchir à la suite ? Il ne le savait et ne le demanda guère non plus, se disant que pour certains, ces questions pouvaient être trop personnelles ou blessantes. Il restait néanmoins intrigué, faiblement certes mais pas non plus inintéressé, trop différente de ce dont il avait l’habitude. De lui, entre autres, pour la comprendre vraiment.

Et sa réplique suivante ne fait que confirmer son unicité, n’étant certes pas la première à le trouver grand mais de loin celle qui lui aura sorti de cette façon. Illégal, hein ? Le terme a le don de le faire sourire, amusé et ne pouvant s’empêcher de la taquiner en retour. Il ne trouvait personnellement pas qu’elle avait huit ans, bien qu’à courir ainsi avec ce gros sac et s’essouffler sans pour autant s’arrêter de parler, elle avait ce je ne sais quoi d’enfantin qui la rendait attendrissante. Les femmes avaient toujours été son point faible dans son attitude glaciale mais il lui était d’autant plus compliqué de la repousser actuellement. Allez savoir pourquoi. « Et bien… Oui, vu comme ça. Mais je me suis toujours efforcé d’être galant alors je suppose que tu n’auras pas besoin de me vouloir du mal. » Quand bien même il n’avait nulle intention de se couper les jambes, n’appelant pour sa part pas ça galanterie mais folie totale. Mais sans doute était-ce là un détail peu important puisqu’ils blaguaient, après tout. Son attention est de toute façon détournée par la respiration accélérée de la jeune femme, remarquant à retardement qu’elle s’essouffle par sa faute. Ou du moins, à trop vouloir calquer ses pas sur les siens. Et ça non plus, il ne comprend pas, se forçant pour autant à ralentir par bienveillance.

Il ne sait d’ailleurs pas trop pourquoi il lui pose cette question, incapable de savoir s’il voulait faire en sorte que la discussion tourne court ou au contraire la relancer, simplement curieux sans doute. Ne comprenant pas ce qui pouvait la pousser à désirer sa compagnie non plus. Et encore plus décontenancé lorsqu’en guise de réponse, elle lui retourne la question. On pouvait au moins lui attribuer un certain sens de la répartie, l’esquisse de ses lippes s’agrandissant imperceptiblement. Il ne lui répond toutefois guère, arrangé qu’elle continue de parler pour noyer le poisson avant d’hausser un sourcil surpris. Lui, trop mignon ? C’était… Bien la première fois qu’une fille autre que Joo Hee s’osait à le qualifier ainsi, se raclant la gorge en détournant le regard légèrement gêné, sa main venant gratter l’arrière de sa tête. « C’est si étrange que ça d’être content de marcher ? » Il ne comprenait pas trop où elle voulait en venir, cette Yuri le faisant décidément bien trop facilement sortir de ses repères. Et tandis qu’il la regarde de nouveau de biais, il la voit se vautrer à moitié, l’attrapant par la hanse de son sac par réflexe in extrémis et l’accompagnant dans son mouvement pour se redresser. Elle ne semble d’ailleurs pas s’en apercevoir, et intérieurement, ça le fait marrer. Quel était donc ce spécimen qu’on avait mis sur sa route ? Et pourquoi s’excusait-elle désormais ? Il en reste interdit, autant parce qu’elle lui avoue sans détour vouloir être avec lui que parce que cette jeune femme pleine de joie semble croire avec facilité ne pas être désirée. Était-il si peu loquace ? Ou à ce point antipathique ? Ça ne l’étonnerait pas, mais tout de même… Elle lui faisait un peu de peine et ça ne le torturait que plus, aimant sa solitude mais ne voulant la faire se sentir seule, elle. Qu’avait-il fait pour mériter ça sérieusement ? « Parce qu’en plus d’être illégal, je suis malpoli maintenant ? » La toisant de toute sa hauteur, les orbes indéchiffrables, il reste un instant silencieux à la regarder sans trop savoir où elle voulait en venir. Disait-elle vraiment tout ce qui lui passait par l’esprit par besoin de meubler ou peur du blanc ? Ou pensait-elle vraiment qu’il était rude ? Les femmes étaient décidément bien compliquées, poussant un soupir résigné avant de répondre. « Noh Jae Won. Je ne peux pas te donner de groupe, je n’en ai pas. Et tu ne m’as pas croisé à la télé, à moins que tu fasses une fixette sur les backdancers. » Ce qu’il ne jugeait guère, c’était tout à son honneur, mais assez inhabituel toutefois. D’autant qu’ils étaient masqués la plupart du temps. Restait à savoir quoi dire de sa présence, laissant le blanc s’étirer un instant, croyant qu’ainsi le ciel lui viendrait en aide avant de venir finalement tapoter sa tête doucement, d’un toucher à peine perceptible, le regard fuyant. « Tu peux rester si tu veux. Mais je ne suis pas une bonne compagnie. » Elle ne le dérangeait pas tant que ça, au final. Et puis, il ne pouvait s’empêcher de remarquer ce gars pas loin qui la regardait de manière déplacée, n’appréciant guère ce que son expression reflétait. Mieux valait qu’elle reste ici, oui, du moins tant qu’elle ne pourrait fuir ailleurs.

(( outfit ))

« J’ai pas dit que c’était étrange. » lui répond-elle immédiatement en fronçant les sourcils. N’a-t-elle pas juste dit que c’était mignon ? Pourquoi déforme-t-il tout de suite ses mots pour en faire quelque chose d’autre ? Elle peine à imaginer ce qui se doit se passer dans sa tête ou comment son cerveau doit fonctionner. Ils semblent être des opposés complets à premier abord, mais Yuri sait qu’il ne faut jamais se fier à la couverture. Elle sait que beaucoup de gens la prennent pour une imbécile et elle joue ce rôle à la perfection. Si c’est ce qu’ils veulent croire alors elle les laisse faire. « J’ai dit que t’étais mignon. Ça te gêne ? » ne peut-elle s’empêcher de répéter, presque secrètement envieuse de l’imaginer gêné par le compliment. On lui en fait pas beaucoup, des compliments ? Elle peine à l’imaginer. Elle voit bien son physique : il doit avoir une traînée de filles à ses pieds et si elle n’avait pas un copain, elle serait probablement dans la file. A-t-il une copine ? Un instant elle ouvre les lèvres pour lui demander directement mais finit par se décider à rester silencieuse. Est-ce que ce ne serait pas un peu louche de demander ça ? Et s’il finit par croire qu’elle le drague vraiment ? De plus ce n’est pas une information qui lui apporterait quoi que ce soit bien qu’elle puisse piquer vivement sa curiosité.

« Illégal. Malpoli. Mignon. » répète-t-elle avec un sourire. Oui. À ce point là elle essaie vraiment de le torturer elle l’avoue : mais elle espère que ça puisse lui faire plaisir silencieusement. Après tout, Yuri ne voit pas pourquoi se faire complimenter de la sorte puisse être quoi que ce soit d’autre qu’agréable, malgré la gêne. « Tu devrais te concentrer sur le positif. » ajoute-t-elle doucement avant de lui laisser l’espace de parler. Noh. Jaewon. Ah. Non. Ce nom lui dit définitivement quelque chose, mais les informations qu’il lui donne ensuite ruinent son idée de l’avoir capté à la télé. « ça m’est arrivé, tu sais. » se sent-elle obligée de préciser tout de même, « j’ai eu des crush fous sur des gars que j’ai vu une seconde à l’écran. Mais je ne pense pas que tu en fasse partie. Désolée. » lui souffle-t-elle en lui adressant un regard plein de regret. Elle espère ne pas le vexer en disant ça. Elle s’apprête d’ailleurs à s’expliquer sur le sujet lorsque la main de Jaewon vient se poser sur le sommet de son crâne. Quoi ? Le rouge lui monte aux joues, mais il y était déjà à cause du froid, donc ça ne fait rien. Une petite moue vient prendre son visage. Elle laisse un silence s’étirer, peu sûre de si elle devrait poser cette question, mais il ne lui est jamais très efficace d’essayer de retenir les mots qui veulent jaillir d’elle. « Pourquoi tu serais pas une bonne compagnie ? Je t’aime bien, moi. Tu es un peu grognon mais tu es mignon. Regarde. » souffle-t-elle en levant sa propre main pour la poser sur la sienne, toujours sur son crâne. Contournant son corps pour se planter devant lui et tendant le bras pour essayer d’atteindre le sien, pour lui rendre la pareille. Yuri se déboîte presque l’épaule et se hisse sur la pointe des pieds, jusqu’à arriver à le tapoter plus ou moins avant de perdre l’équilibre, projetée contre lui. Le fait qu’elle soit devant Jaewon dans une pente ascendante n’aide pas. « Oups. » souffle-t-elle en restant seulement une seconde contre son corps, se servant de sa main contre son torse pour se repousser elle même. « Sorry sorry. J’ai pas fait exprès je le jure. But you're so hot. Tu es malade ? »

(( outfit ))

Le faisait-elle exprès ? De revenir à la charge. Répéter le mot mignon. Appuyer dessus même et poser une question innocente sur sa potentielle gêne ? Hyunwoo l’avait-il payée pour qu’elle vienne l’embarrasser ? Avec lui, il s’attendait toujours à tout, entouré de toute évidence de démons. Mais non, il était peu probable qu’ils se soient rencontrés ni même qu’il ait pu demander ce genre de choses s’il ne pouvait être témoin de son embarras. Il aimait beaucoup trop le provoquer lui-même, cet idiot. Alors quoi ? N’avait-elle vraiment aucun filtre ? Incroyable. Ses lèvres s’entrouvrent pour répondre quelque chose mais il se trouve bête à ne pas savoir quoi dire. A avoir l’esprit aussi vide et blanc que l’étendue neigeuse, se raclant la gorge mal à l’aise et détournant le regard en grommelant un « non, je n’ai juste pas l’habitude. » Et tant mieux d’ailleurs, il ne saurait faire face à ce genre de situation tous les jours, mordillant sa lèvre songeur avant de la rattraper au vol. A croire qu’il ne pouvait la quitter des yeux une minute.

Il se croyait sorti d’affaire avec cet interlude, plus encore lorsqu’il devint désormais malpoli, la jeune femme ne cessant de le décrire avec un vocabulaire contradictoire et bien loin de ce à quoi il pensait ressembler. Ne comprenant décidément pas ce qu’il se passait dans sa caboche et peinant à l’imaginer même, soupirant face à ce sourire qu’il ne connaissait malheureusement que trop bien. Celui de ceux qui voulaient désespérément lui arracher une réaction. « Le positif ? » Sur les trois adjectifs, un seul l’était à bien y regarder. Quoiqu’il ne savait si être illégal était aussi un compliment masqué. Il ne préférait pas y songer, se complaisant dans son ignorance et se disant qu’après tout, cette discussion n’avait rien de sérieuse. Alors à quoi bon se prendre le chou ? Mieux valait faire comme s’il n’était nullement atteint, sachant pertinemment que dans le cas contraire, on ne cesserait d’abuser de sa pseudo-timidité. Il n’avait que trop d’exemples à citer. Et il fait bien au vu de la suite, ne pouvant que cligner des paupières comme s’il avait rêvé ce qu’elle venait de dire. Des crushs sur une personne vue une simple seconde à l’écran ? « C’est possible ? » ne peut-il s’empêcher de demander, une note à la fois rieuse et estomaquée venant chatouiller ses lippes. Désolée ? Qu’elle ne s’excuse nullement, il en était bienheureux au contraire, ne pouvant s’empêcher de penser que le cas contraire il aurait sans doute accéléré le pas mal à l’aise. Peu sûr de vouloir se trouver là. Et elle, comment faisait-elle pour déclamer ce genre de choses sans honte ? Elle était vraiment… Il ne savait, préférant laisser le silence s’étirer. Apporter une réponse à sa question. Il avait oublié que l’on n’était jamais mieux servi que par soi-même.

Alors pourquoi la garde-t-il à ses côtés ? Pourquoi lui donne-t-il une nouvelle fois les moyens de le faire sortir des sentiers habituels pour le propulser dans l’inconnu avec ses questions, s’arrêtant presque de force en se voyant couper la route par ce petit être. Il n’était pas grognon. Pas vraiment. Encore moins mignon. Mais aucune syllabe ne sort alors qu’il la voit plonger vers lui, ses orbes s’écarquillant tandis qu’elle lui tapote à son tour le crâne, effaçant totalement toute trace de pensée cohérente. Elle faisait quoi là ? A quel moment elle… Son esprit peinant à se reconnecter, c’est son corps qui réagit le premier, la réceptionnant entre ses bras, la faisant presque disparaître sous son étreinte. Vraiment… « On ne peut pas se mettre sur la pointe des pieds avec des raquettes. » Un simple fait, la première chose qui lui venait à l’esprit et à laquelle il s’accrochait, soupirant et tentant d’effacer la froidure de ses traits, relâchant un peu son étreinte alors qu’elle le repoussait mais restait appuyée à lui. Et maintenant quoi, il était hot ? Il abandonnait. Purement et simplement, déverrouillant ses bras et venant attraper la main restée sur son torse pour l’enlever doucement, sans pour autant mettre de la distance. Se penchant par la suite vers son minois pour la détailler sans honte, tentant d’y lire les prémices de ses réactions avant que le flot de paroles ne démarre. « Tu es vraiment une femme dangereuse, tu le sais ça ? » Pour elle autant que les autres. « Pourquoi t’excuser de te coller à moi si la phrase d’après tu me dis que je suis hot ? » Rien ne faisait sens, elle l’embrouillait complètement, ses paupières se fermant sur le monde un traître instant tandis qu’il soupirait une fois encore, mettant de l’ordre. « Je ne suis pas malade, non, j’ai une température naturellement élevée. » Si c’était ce qu’elle demandait, peu sûr de ce double sens. Peu sûr de quoi que ce soit en fait la concernant, mordant sa lippe allègrement, signe de sa réflexion. « Mais toi, tu devrais faire attention. Tu aurais pu te blesser. » Et si elle appartenait à un groupe alors, son corps devait essentiellement être en bonne santé pour ne pas l’impacter. Ce n’était pas juste son bien être qui était en jeu, assortissant sa tirade d’une pichenette sur son front qui se voulait sans force, venant par la suite recoiffer la mèche de sa frange qu’il avait fait sauter avec douceur. « Dangereuse, mais mignonne. » Ses obsidiennes s’ancrent aux siennes quelques secondes de plus dans ce silence qui s’étale autour d’eux, et il finit par l’agripper par les hanches et la soulever pour la remettre sur le côté, dans le bon sens, histoire de l’aider à redémarrer. « On va paumer le reste du groupe si on n’avance pas et tu ne marches pas très vite. » Il… N’avait pas voulu être méchant en disant ça, se rendant compte après coup de son erreur et grimaçant quelque peu, sa langue passant sur ses lèvres tandis qu’il réfléchissait à vive allure, lui tendant finalement sa main. « Je peux te tirer sur les premiers mètres. » Doucement, évidemment, pour ne pas qu’elle tombe une fois encore. Il n’était pas une brute.

(( outfit ))

Ses bras qui se resserrent autour d’elle. Ce serait mentir de dire que le rouge ne lui monte pas un peu plus aux joues. Était-il obligé de la réceptionner ? Elle aurait pu se débrouiller toute seule, elle ne serait pas tombé plus bas. Yuri ne peut s’empêcher d’y penser. Combien cette sensation est plaisante. La culpabilité montant en elle de même avoir une pensée fugace de ce genre. Elle sait qu’elle ne devrait aimer être dans les bras d’aucun autre homme, surtout un inconnu, alors qu’elle est en couple. En est-elle vraiment arrivée à là ? Elle ne peut s’empêcher de se demander silencieusement ce qui ne va pas chez elle. Sa gorge se serrant alors que Jaewon parle, réagissant seulement en hochant de la tête comme une bonne élève. Les doigts qu’il pose sur les siens la font frissonner. Il a beau la repousser, Yuri peine à comprendre pourquoi cette situation la déconcerte en tous points. Sûrement que c’est le froid. Sûrement que c’est parce que… parce qu’elle a cette impression de le connaître de quelque part. Ça lui mélange les méninges. Ça l’empêche de fonctionner correctement, de penser comme elle le devrait. Elle se force à emplir son esprit des images de son petit ami pour ne pas se laisser perturber. Peinant à ce que cela tue entièrement les sensations qui traversent son corps.

Il faut en plus qu’il se penche en sa direction. Pour la première fois depuis le début de la randonnée, Yuri ne peut s’empêcher de se sentir timide. Quoi ? Son regard fuit sur le côté mais elle le sent. Il est en train de la détailler d’une façon qu’elle ne pourrait interpréter. Mal à l’aise, elle sent sa gorge s’assécher, reprenant quand même de ses forces en entendant ce qu’il est en train de lui dire. Quoi ? Dangereuse ? Son regard vient se planter avec force dans le sien à nouveau, les sourcils légèrement froncés, un air offensé au fond de ses prunelles sombres. « Je ne-… Ce n’est pas-... » ce que je voulais dire tente-t-elle de sortir en dehors de ses lèvres sans y parvenir. Elle n’en sait rien s’il est hot pour de vrai, dans ce sens là. Elle ne s’oserait pas à y penser. Une femme en couple ne devrait rien remarquer de ce genre chez d’autres hommes, non ? Elle peut au moins admettre de loin qu’il n’est pas moche à regarder, mais ne s’autoriserait pas à en penser plus. « Tu n’as pas besoin… de t’inquiéter pour moi. » marmonne-t-elle avec une moue boudeuse, laissant son visage se baisser en direction du sol. Ramenée à venir le fixer vexée lorsque la pichenette est assénée en plein dans son front. Quel est le problème de ce gars ! Une certaine colère vient se planter dans son cœur. Elle sait qu’elle n’est pas vraiment dirigée en sa direction. Son cœur se comprimant douloureusement de déni, préférant se cacher les faits. « Je ne suis pas... » mignonne. Pourtant elle sait qu’elle l’est. C’est sa personnalité. Le rôle qu’elle joue la plupart du temps. Pourquoi ses mots l’agacent-ils à ce point ? Pourquoi agit-il de cette façon à son égard ? Elle pensait qu’il était un peu spécial mais ça ne fait que se confirmer. Et elle aimerait pouvoir dire que ça ne lui plaît pas, pas du tout. Ignorant les frissons fugaces qui passent dans son ventre alors qu’il remet sa frange en place. Qui fait ça ? Qui fait ça à une inconnue ? Il ne l’apprécie même pas. Elle le saoule… elle le saoule sûrement, plus qu’autre chose. Elle tente de se le rappeler et de se le répéter en venant torturer l’intérieur de sa lèvre inférieure, frustrée. « Ne dis pas ça. » ne peut-elle s’empêcher de lui lancer durement en gardant son regard fièrement dans le sien. Malgré l’envie de s’y échapper elle ne lui laisserait pas cette victoire. Est-ce que c’est lui qui la torture, à ce moment précis ? S’est-il vexé de la façon dont elle l’a harcelé et tente de lui rendre la pareille ? Elle se laisse retourner en direction du chemin sans protester. Trop confuse. Les sentiments qui se bataillent en elle ne font aucun sens. Il ne fait aucun sens. Yuri ne peut s’empêcher d’être frustrée de ne pas savoir ce qui doit se passer dans sa tête. De toute façon, elle devrait s’en ficher, entièrement.

Elle ne se vexe même pas de sa remarque sur sa lenteur. Le cerveau engourdi. Elle ne peut que fixer la main qu’il tend en sa direction, sentant tous les drapeaux rouges se lever en elle.  Ses paupières qui ne font que cligner. « Je… je peux marcher toute seule. Merci. » tente-t-elle de dire en ayant l’air la plus décontractée possible. L’envie de lui prouver qu’elle peut avancer plus rapidement que n’importe qui. Elle sait pourtant que ce n’est pas la raison pour laquelle elle a vraiment refusé d’attraper sa main. L’idée de s’y confronter est trop effrayante.

Elle recommence à marcher à côté de lui. Tombe dans un silence qui n’est que très peu semblable à elle même. Elle peut au moins se rassurer en pensant au fait qu’il ne la connaît pas assez, pour penser qu’il y a là quoi que ce soit de bizarre. Son regard reste planté en direction de la neige. Elle se concentre, pour avancer assez vite pour qu’il ne fasse plus de remarque à ce sujet. Yuri n’arrive pas à s’en empêcher. Son esprit ne cesse de revenir à cette sensation. Quelque chose tirant en elle d’envie d’en avoir plus. C’est vrai que c’était tout chaud contre lui. Mais Ole… Ole, doit être tout aussi chaud. Elle n’aura qu’à le câliner lorsqu’elle rentrera à l’hôtel. Oui. Sûrement est-elle aussi confuse parce qu’il n’est pas là. Parce qu’il lui manque. Elle regrette de ne pas l’avoir invité à venir avec elle à la randonnée. Aussi honteuse cette pensée soit-elle, elle n’y avait même pas pensé. Comme elle oublie toujours beaucoup de choses à son sujet, le blessant à répétition. Oublie-t-elle vraiment ? Ou s’aveugle-t-elle délibérément ?

« J’avance assez vite pour toi ? » finit-elle par souffler entre ses dents, s’osant un regard en sa direction. Elle sait qu’il n’est pas au maximum de son allure. Et elle peut très bien voir aussi que le groupe, malgré tous ses efforts, ne fait que s’éloigner un peu plus au devant. Elle en a conscience et elle en a honte, mais il prendrait trop de sa fierté de l’avouer. Que pourrait-elle y faire de toute façon ? L’idée de le laisser la tirer est hors de question. « J’ai un copain, tu sais ? » Oui Yuri, on sait. Elle ne peut empêcher la honte de la prendre tout entier face à la stupidité de ce qu’elle vient de dire. Pourquoi resterait-elle aussi silencieuse pour sortir un truc pareil ? Quel est le rapport avec le sujet ? Ce n’est pas comme ça lui apporterait quoi que ce soit de le savoir. Pourtant elle n’arrive pas à arrêter sa langue de s’activer. « Il s’appelle Ole. Il va débuter bientôt, j’espère que tu iras voir ses clips. Il sera dans les Crowns. À la Yuseong. Il a pas pu venir, à la randonnée, il était occupé, c’est pour ça qu’il est pas là, et que je suis toute seule. » ment-elle la bouche asséchée. Remarquant son allure qui ralentit encore un peu plus. Elle n’arrive pas à parler et marcher en même temps sans que cela n’affecte ni l’un ni l’autre. Et en plus, elle est déjà fatiguée. Est-ce que la randonnée est bientôt finie ? « Si tu veux je pourrai te le présenter. Quand on redescend. Je suis sûre que vous vous entendrez bien. On est amis maintenant, nous, non ? Alors c’est normal, que je te le présente. » blablate-t-elle en s’accrochant aux lanières de son sac à dos, assez fort pour que ses paumes protestent. « Alors c’est pour ça… quand j’ai dit que t’étais hot… je voulais juste dire chaud, voilà, j’aurais jamais pu sous entendre autrement, je ne veux pas que tu croie que je te drague ou quelque chose. » marmonne-t-elle les mâchoires serrées, décidant finalement que là est probablement le moment de retomber dans le mutisme à nouveau. Ce qu’elle fait, essoufflée tout autant par la marche que par son débit vocal impressionnant.

(( outfit ))

Dire qu’il ne la comprenait pas ne serait pas assez fort. En réalité, il ne la comprenait pas du tout. Ne savait pas où elle voulait en venir, pourquoi elle parlait tant et qu’est-ce qu’elle obtenait à ainsi se disperser. Prouver qu’il était mignon ? Quel intérêt ? Il n’était pas certain qu’elle le drague, pas plus qu’elle le cherchait, nageant en plein délire quand il était venu marcher en pleine nature pour ne pas réfléchir. A croire que c’était loupé. Pourtant, loin de la rejeter, bien incapable tout compte fait, il essayait au mieux de lui répondre et ne pas laisser la conversation s’essouffler. Comme s’il sentait qu’elle en avait besoin. Comme si, à travers tous ses mots déblatérés et souvent peu réfléchis, elle cherchait de l’attention. Un quelconque regain de chaleur. Et s’il restait égal à lui-même, à savoir peu loquace et froid de l’extérieur, il tentait néanmoins d’être présent. Parce qu’il était comme ça, Jaewon. Incapable de laisser quelqu’un seul quand il sentait que quelque chose n’allait pas. Bien qu’il ne sache quoi.

Il ne pensait toutefois pas que ses mots pourraient l’offenser - ou du moins l’énerver - la regardant ébahi bien que neutre d’extérieur changer sans cesse de comportement. Passer de la jeune femme inquiète à une mine fermée. Lui dire sans détour qu’il était hot pour ensuite se mettre à bégayer. Et la suite n’en est que plus déroutante, lui signifiant qu’il ne devrait pas s’inquiéter pour elle avec un ton qu'il qualifierait de bougon, fronçant les sourcils imperceptiblement, franchement perdu. Mais ne l’était-il pas depuis le début ? Si, carrément. Ca ne l’empêche toutefois pas de lui assigner une pichenette sur le front, sa façon à lui sans doute de lui signifier de reprendre ses esprits. « Tu as le droit de t’inquiéter pour moi, mais pas moi ? Tu n’as pas le monopole, tu sais ? Et puis, ne suis-je pas la victime de ta maladresse ? » Heureusement, la victime ici présente n’avait rien de cassé, ne cherchant nullement à la faire culpabiliser mais énoncer des faits, renchérissant en arguant qu’elle était aussi dangereuse que mignonne, signe que lui aussi pouvait jouer à ce jeu là. Qu’il ne se laisserait pas embêter impunément sans riposter. Il semble d’ailleurs faire mouche au vu de ses traits et de son début de réponse, ne comprenant décidément pas ce qu’il lui prenait. Qu’une femme soit gênée d’un compliment, soit… Mais énervée ? Il ne devrait pas dire ça ? Ainsi donc, elle se donnait le droit de flirter mais lui refusait quelconque franchise quand ça ne lui plaisait pas. Il ne cherche pas à discuter mais se rembrunit mentalement, n’aimant pas franchement les personnes qui se permettaient ce qu’elles n’aimaient pas. Il était plus simple de changer de sujet.

Une fois remise dans la bonne direction, il ne s’attend donc pas à ce qu’elle accepte son aide, assumant avoir manqué de délicatesse en parlant de son allure mais ayant tout du moins cherché à se rattraper avec cette main tendue. Tant pis. Puisqu’elle semblait ne plus désirer sa compagnie ou encore discuter, il gardait la bouche résolument close, pas gêné pour un sou par le silence. L’appréciant à sa juste valeur, lui qui avait toujours eu l’âme d’un solitaire. Il n’y avait jamais eu que sa petite bande pour chercher à l’en déloger, de toute manière. S’il reste sensiblement à son niveau, ce n’est donc pas pour lui peser mais bien par souci, la voyant foncer tête baissée et s'essouffler à vue d'œil. Qu’essayait-elle de prouver ainsi ? Qu’elle était plus sportive qu’il ne croyait ? Ou qu’elle n’était pas un poids qu’il traînait ? Il aurait été étrange de songer au deuxième cas de figure quand il n’avait jamais vu les choses de cette façon, toutefois peinait-il à imaginer que toute cette hargne qu’elle mettait dans ses pas soit anodine. Comme si elle ruminait quelque chose intérieurement. Avait-il été si peu délicat ? Visiblement vu ce qu’elle lui assénait, ne pouvant néanmoins s’empêcher d’esquisser le fantôme d’un sourire face à sa réaction enfantine. Ressemblait-elle réellement à sa sœur ou cette dernière lui manquait-elle juste trop ? Il n’en était pas bien sur mais était bien incapable de se vexer de toute façon. « Moi je vais bien, mais toi… Ne devrais-tu pas adapter ton allure à ta capacité plutôt que la mienne ? » Simple remarque, qui ne portait en elle rien de méchant. Mais peut-être celle-ci aussi serait mal prise, ne pouvant s’empêcher de soupirer avant d’ajouter. « C’est vrai, je ne dois pas m’inquiéter. Fais comme tu veux. » Il était d’ailleurs presque certain que plus il tenterait de la faire ralentir, plus elle se mettrait à accélérer, l’inconnue s’étant montrée depuis le départ tout en contradiction. Autant donc ne pas aggraver les choses, soucieux qu’à ce rythme elle se blesse mais ne pouvant lui partager son inquiétude. Elle la prendrait sans aucun doute mal, et c’était bien dommage.

Il croyait d’ailleurs la discussion close, n’étant visiblement - et il ne s’en était pas caché, il lui avait dit sincèrement - une piètre compagnie. Aussi lorsqu’elle se remet à parler, de son copain qui plus est, ne comprend-il décemment pas où elle voulait en venir. Haussant un sourcil en la regardant de biais, déversant de nouveau un flot de paroles tel qu’il peine à la suivre. Mais y avait-il vraiment quelque chose à comprendre dans tout ça ? Elle avait un copain, et ? Elle voulait qu’ils soient amis ? Pourquoi ? Le croyait-elle si seul et pitoyable qu’elle pensait devoir lui trouver de la compagnie ? Ou tentait-elle de lui faire quelconque pub par des moyens détournés ? Il n’en avait franchement aucune idée, passant du coq à l’âne d’une phrase à l’autre, perdant bêtement le fil et se passant une main dans les cheveux, légèrement acculé. Étaient-ils amis ? Il n’en avait pas l’impression. Elle n’avait guère l’air de l’apprécier. Pourquoi forcer le trait ? Se sentait-elle obligée ? Redevable ? Sa langue caresse ses lèvres avant que ses ivoires ne viennent les mordre, son esprit bien trop sollicité pour une simple balade de santé. Ne sachant décemment pas quoi lui répondre et se retrouvant tout bonnement soufflé par la conclusion, papillonnant des cils un traître instant avant de s’esclaffer. Un rire bref mais puissant, incapable de le retenir quand bien même il ne se moquait pas d’elle, son expression frigide fondant pour y faire  naitre le début d’un sourire printanier. « C’était donc ça, tu avais peur que je me méprenne ? Ou que je te drague ? » Dans le premier cas, il avouait aisément y avoir songé. Le second par contre… Ce serait clairement mal le connaître. « Ne t’en fais pas, ce n’était nullement mon intention. Et quand bien même j’aurais pu mal interpréter tes propos, je n’aurais rien espéré. » Parce qu’il n’était pas du genre à s’attacher comme ça. Qu’il ne cherchait pas la moindre relation non plus, incapable de percevoir que sa phrase pourrait être mal prise. Pensant la libérer d’un poids. « Alors tu peux ralentir le pas, ça ne sert à rien de t’obstiner ainsi, tu vas vraiment te faire mal. » Simple bienveillance, sans la moindre arrière pensée, ses doigts accrochant son épaule pour y apposer une légère pression et lui signifier de ralentir un peu l’allure. « Crowns, c’est ça ? Je jetterai un œil si je vois leur vidéo passer. » S’il n’avait pas oublié d’ici là, ce qui était fort probable aussi. « C’est admirable d’aimer son copain au point de vouloir clarifier une situation qu’on croit ambiguë. Tu es courageuse. » Et il lui sourit, pleinement, touche de douceur sur ses traits que peu de monde voit.

(( outfit ))

Le rire qui vient s’échapper de ses lèvres la fait sursauter. Son regard, écarquillé, se tourne en sa direction. Dire qu’elle ne s’était pas attendu à cette réaction serait un euphémisme. Mais s’était-elle attendu à quoi que ce soit ? Non. Probablement pas. Tous ces mots étaient sortis de sa bouche dans un moment hors d’elle, possédée par un esprit maléfique probablement qui la poussait à agir de façon aussi bizarre. Est-ce que c’est juste ça ? Peut-être que leur enquête au Blue Moon Hotel avec Miran avait eu des séquelles, après tout. Peut-elle mettre toute la faute sur un fantôme imaginaire ? Est-ce que tout cela ira après qu’elle l’ait exorcisé ? Ses dents viennent nerveusement torturer sa lèvre inférieure. La gêne la prenant de continuer à le regarder comme ça. De trouver son visage, contorsionné par ce sourire, bien plus adorable qu’elle ne devrait. Yuri finit par revenir regarder devant elle, déglutissant difficilement.

Elle ne répond pas à sa question. Prise soudainement d’une nervosité qu’elle ne s’explique pas. Une forte envie de se planter devant lui et de lui poser ses mains sur la bouche, malgré la gêne occasionnée à l’idée d’imaginer ses lèvres contre sa peau. Qu’il arrête de parler. C’est bien elle qui a abordé le sujet mais maintenant elle est toute prête à faire marche arrière et à tout abandonner. Les mots pourtant qu’elle craignait finissent par tomber, serrant douloureusement son ventre. Douloureusement ! N’importe quoi. Elle serre les dents. De toute façon ce n’est sûrement pas de la déception qui vient grandir dans sa poitrine. Pourquoi en ressentirait-elle une ? Comme elle l’a déjà dit, Yuri a un copain. Même si le fait d’avoir un copain n’a alors absolument absolument rien à voir avec le fait qu’elle puisse ressentir quoi que ce soit de négatif, parce que cela ferait d’elle… quoi ?

Il lui dit de ralentir le pas mais elle l’ignore purement et simplement. Le fait d’entendre ces mots contracte son visage de concentration et son pas s’accélère, ou tout du moins, elle fait beaucoup d’efforts pour que ce soit le cas. Les doigts qui se posent sur son épaule et qui la font frissonner, ne faisant que la conforter dans son choix. Il faut qu’elle le dépasse de plusieurs pas pour qu’il arrête de faire des choses du genre. Lui tendre sa main. Lui toucher l’épaule. Fait-il exprès pour la perturber ? Même si… ça ne la perturbe pas du tout, bien entendu…

La dernière phrase qu’il sort crée un profond trouble en elle. S’égarant un instant dans ses pensées, tentant d’ignorer la douleur perçante qui prend place dans son cœur, elle ne parvient plus à se concentrer sur ses pas et laisse ses jambes agir automatiquement. Trop automatiquement sûrement puisque le devant de son pied se prend dans la neige et que son corps, tout d’un coup, se met à tanguer. Elle l’imagine un moment. Comme les garçons dans les dramas, il la rattrapera en passant son bras autour d’elle, et le fait que cette pensée lui vienne aussi facilement, ne fait qu’aggraver le malaise en elle. Il n’en arrive rien de toute façon. Son corps ne fait que basculer en avant et ici, sans rien pour la retenir, elle atterrit tête la première dans la neige, son corps s’enfonçant à moitié dedans à cause de l’épaisseur. Sa raquette restant plantée là où elle s’est accrochée, tordant son pied dans un angle peu naturel. La douleur perce et irradie sa jambe. Mais ce n’est même pas ça qui la pousse à fondre en larmes. Elle ne comprend vraiment… rien à rien…

Courageuse. Courageuse… ce simple mot sorti si sincèrement de ses lèvres ne cesse de se répéter dans son esprit, faisant jaillir les larmes un peu plus intensément. Elle se retient au moins de faire du bruit, même si elle ne peut en faire autant de ses épaules qui s’agitent. Mais peut-être imaginera-t-elle qu’elle rit. Peut-elle rester là ? Peut-il juste passer son chemin, et la laisser là ? Elle n’a pas envie qu’il la voie. Incapable de comprendre pourquoi cette simple discussion et cette simple rencontre la retourne autant. La rend aussi triste pour quelque chose sur lequel elle n’arrive pas à mettre le doigt. Finissant par sortir lamentablement son visage de la neige, Yuri tente de se redresser légèrement pour se retourner et essayer de décoincer sa raquette. Parvenant au moins à détacher son pied pour la laisser plantée là, assise misérablement par terre sans parvenir à relever le regard en la direction de Jaewon. Qu’elle doit sembler pathétique. Relevant ses mains gantées pour effacer les larmes qui ne cessent de couler et qu’elle mettra sur le compte de la neige froide, comme si cela faisait du sens.

Elle a envie de lui dire qu’elle le déteste. Mais elle se retient, craignant qu’il ne prenne ses mots trop sérieusement. Et puis c’est un mensonge. Elle ne le déteste pas. Il est trop gentil et ça l’agace. « Je ne suis pas courageuse. Tu te trompes. » finit-elle par sortir. Laissant une esclaffe triste lui échapper de voir qu’elle tente de clarifier quelque chose d’inutile, une nouvelle fois. Mais elle ne veut pas qu’on lui attribue des mots qu’elle ne mérite pas. Malgré sa honte à l’idée de lui afficher son visage ainsi, elle le redresse en sa direction. « Est-ce que je suis moche ? » demande-t-elle sérieusement, ancrant son regard dans le sien. La tristesse perçant sur chacun de ses traits sans qu’elle ne puisse n’en l’empêcher. « Est-ce que je suis insupportable ? Indésirable ? Je parle trop. Je dis n’importe quoi. Je suis une caricature sur pattes. Je suis... » Ses dents s’accrochent à sa lèvre inférieure pour retenir un sanglot. « Je suis nulle. Voilà tout. Tu peux le dire. Je suis nulle et je ne suis définitivement… pas… courageuse. » achève-t-elle sans savoir pourquoi elle lui dit tout ça, étouffant de ce sentiment inconfortable dont elle veut se débarrasser. Se murant dans le mutisme à nouveau, Yuri pose ses mains à côté d’elle pour tenter de se relever mais la douleur perce à nouveau dès qu’elle appose du poids sur sa cheville, et elle retombe sur les fesses, laissant une exclamation de douleur lui échapper. Ses paupières qui se plissent de frustration. Elle veut juste… échapper à tout ça… Relevant ses petites mains pour cacher son visage derrière, tenter de retenir de nouvelles larmes. « Laisse moi... » parvient-elle juste à souffler de sa voix étranglée, avant d’attendre le bruit de ses pas qui s’éloigneront.

(( outfit ))