The Legend of the Leprechaun

|	Dublin ;2018 Grafton Street

— Yang Raphaël, il est connu, regarde.
Sa guitare posé devant lui, accroupie en plein milieu de la grande rue Grafton, Liam fixant le téléphone de son amie Orla. Orla avait son âge, ils se connaissaient depuis des années. Elle aussi, elle ne savait plus exactement vers quoi allait sa vie. Elle aimait la musique, aspirait à de grands voyages, vers l’Australie ou la Nouvelle Zélande, comme beaucoup. Mais sans argent, sans l’envie d’en gagner non plus et « peu de chance », comme elle disait, ça ne marcherait pas. La chance, il n’y avait jamais cru. Liam se disait que ça n’existait pas, du moins, pas pour lui. il était sceptique en lisant le message, un message écrit en anglais, venant d’une personne se présentant comme membre d’un groupe au nom énigmatique : Ghost. Ao, son nom de scène. Il voulait lui parler, avait vu ses vidéos. Les fameuses vidéos que postait Orla, sur une chaîne qu’elle avait créé sans chercher l’originalité : Liam Choi.

C’est sûrement des conneries, qu’il avait soufflé en rangeant l’instrument dans son étui. Liam avait un talent plus ou moins prouvé. Prouvé par le conseil de la ville de Dublin, en tout cas, qui après un casting lui avait donné ce fameux passe, lui donnant l’autorisation de performer dans la rue. C’était juste pour passer le temps, pour se faire de l’argent. Ses parents refusaient de l’embaucher au restaurait. Il n’était pas fiable, parfois il venait, parfois, il disparaissait. Et ils savaient ce qu’il allait acheter avec cet argent. Leur pudeur faisait que de ce problème, on n’en parlerait pas. Ce n’était jamais évoqué, l’échec que représentait leur premier fils était bien assez pour devoir considérer le deuxième. Rory allait bientôt être sous liberté conditionnelle, et l’angoisse grimpait doucement en lui à cette idée. Réponds lui au moins. Tu n’as rien à perdre. Orla était confiante, elle l’avait toujours été, quand cela ne la concernait pas.

Ghost lui avait ouvert un mode assez inconnu ; celui de la kpop. Evidemment, il en avait déjà entendu, au Kimchi, ses parents diffusaient ces musiques « typiquement coréennes » du matin au soir, sans que Liam ne cherche jamais à en savoir plus. A ses yeux, il n’était pas Coréen. Il n’y avait jamais mis les pieds, en parlait la langue, appréciant la nourriture de ses parents, et cela s’arrêtait là. Run, Spring Days, Don’t Wanna Cry, la dernière en date. Pendant de longues heures, il était passé de forum en forum, filant les tags Twitter pour en apprendre plus. Il avait un frère jumeau, Gabriel. Ils étaient Français. Comment des Français finissaient dans un groupe de kpop en Corée du Sud ? Quelques jours passèrent, subissant le harcèlement de son amie, perdant la tête, tentant de rester clair, il avait répondu au message. Le voir en vidéo l’avait intimidé une seconde avant de tenter de comprendre. Avant de réaliser que c’était peut-être ça, sa chance d’enfin quitter tout ça. Ces lieux trop sombres, cette vie qui finirait par s’écourter s’il ne se reprenait pas. Qui l’aiderait à échapper à Rory. Un signe du destin inespéré, pour lui qui n’avait jamais envisagé cela. Oui, il apprendrait à danser. Oui, il ferait de son mieux pour adopter la culture et les coutumes du pays de ses ancêtres.

Le cœur battant alors que 2018 touchait doucement à sa fin, il avait préparé ses affaires, recevant le billet d’avion acheté par Raphaël, prêt à le rencontrer. Sa mère n’avait rien dit, ne comprenant, au fond, pas vraiment ce qu’il se passait. Mais elle aussi, elle savait que le voir partir était mieux que de le supplier de rester. Si elle voulait le garder, si elle voulait, un jour, qu’il puisse vivre, vraiment. Qu’un avenir meilleur allait s’offrir à lui, l’échec qu’elle n’avait jamais voulu admettre, parce qu’elle n’avait jamais cessé d’y croire. Qu’un jour, il s’en sortirait. Qu’un jour, il les rendrait fier. C’est dans le Terminal 2 de l’aéroport international de Dublin qu’il salua Orla pour la dernière fois, promettant de revenir la voir un jour. Espérant ne pas la retrouver enceinte de son quatrième enfant. Il s’envolait dans l’espoir d’un changement radical, d’une vie meilleure, d’un nouveau monde. D’un nouveau lui.